Compte rendu du brevet de randonneur mondial de 400km, effectué les 15 et 16 mai 2015, avec le club cyclotouriste de Chevigny-Saint-Sauveur
Le dimanche précédent ce brevet qualificatif pour le prochain Paris Brest et Retour – comme l’on disait autrefois – un incident a bien failli me priver de ce premier rendez-vous avec cette distance, dont il est dit qu’elle marque la véritable entrée dans le monde de la randonnée longue distance. Ce dimanche, je choisissais un parcours en aller et retour par quelques gentilles bosses au Nord de Dijon, et la descente de l’une d’elle, sans qu’il soit question de chute, tourna à la catastrophe.
Sous l’effet des fortes vibrations engendrées par un revêtement rustiquement rustiné et par une certaine vitesse, la patte de fixation de mon phare cédait et ce dernier volait et rebondissait jusqu’aux herbes de l’accotement. Si le phare, à coup de bandes adhésives, retrouvait son état de fonctionnement dès le lendemain, je ne pu installer une nouvelle fixation que le mercredi. Mon activité me privant d’entraînement diurne du lundi au vendredi, je n’eu que le jeudi, veille de la rando, pour rouler un peu, en allant taquiner sur une centaine de kilomètres les premières et dernières bosses du précédent 300.
Vendredi, je quitte donc la salle de montage aux environs de 18h, bien plus tôt que d’habitude, me sentant un peu coupable d’abandonner le navire mais également inquiet de ne pas avoir fait l’impasse totale sur cette demi-journée de travail, où j’eu mieux fait de m’abandonner à une sieste réparatrice des efforts de la veille et préparatrice de la nuit blanche à venir.
Déjà pris d’une fatigue accumulée depuis plusieurs jours, je prépare ma sacoche de guidon. N’ayant comme bon cuissard qu’un modèle court et l’organisateur m’ayant prévenu que nous aurions froid à 1000m d’altitude dans le Jura et au petit matin, je tasse tant bien que mal un modèle long et bas de gamme dans le fond de mon petit bagage. Bien que la superposition de deux cuissards soit immanquablement source de plis et de frottements, au pire du froid je pourrai me couvrir momentanément. Des jambières auraient fait le boulot beaucoup plus classiquement et sans prendre autant de place, mais je n’ai ni le temps ni l’argent pour aller m’équiper.
Donc, vers 19h45 je m’accorde un semblant de sieste, pour moins de trente minutes, avant de prendre la route de Chevigny à 20h20 pour un départ prévu à 21h. J’arrive à la salle des fêtes trop tard pour profiter de l’unique thermos de café. Je regrette d’avoir compté dessus et de ne pas en avoir pris en partant de mon logement dijonnais, mais je me félicite d’avoir prévu deux bidons de boisson isotonique maison, constituée de thé fortement sucré, additionné du jus d’un citron et d’un peu de sel. Mon choix, unique dans le petit groupe, de rouler en cuissard court me vaut quelques remarques dont je préfère penser qu’elles sont d’admiration. Nous faisons la photo des six partants avant la fin du jour, un septième devant partir une demi-heure plus tard, et nous prenons la route.
Ce brevet était annoncé pour 3800 mètres de dénivelé, mais avec la particularité de les regrouper en milieu de parcours, dans le Jura. Nous partons donc à neuf heures passée de neuf minutes pour une centaine de kilomètres relativement plats, agrémentés de quelques toboggans où déjà la différence se fait entre les grimpeurs et les rouleurs. Si les premiers bénéficient du vent favorable pour coller au groupe, les seconds jouent déjà à l’élastique, en particulier l’habituel Serge, dont j’ai compris maintenant que s’il ne grimpe pas, il roule avec une régularité inextinguible qui le fait arriver dans les premiers à la fin d’un brevet. En tout état de cause, nous roulons un peu trop vite à mon goût, non que je peine à suivre, mais plutôt que je craigne de ne pas tenir les 25km/h de moyenne sur 400 km.
Par chance, à 1h45, le Picatchou, bar-restaurant d’Avilley, au kilomètre 110, est encore ouvert. Et sa charmante tenancière nous sert nos doubles cafés sans surprise, quelques uns de mes compagnons de route étant déjà passés par là lors d’une précédente édition de ce même brevet. J’avale deux de mes sandwichs jambon-comté, avec un appétit inhabituel à cette heure. L’organisateur nous accompagnant nous autorise à tamponner nos cartes ici, puisque la commune de Rougemont où nous devions le faire n’est qu’à une dizaine de kilomètres et très certainement plongée dans le désert de la nuit. Cette nuit, d’ailleurs, nous épargne la pluie, mais pas le brouillard qui parfois nous enveloppera, et la bruine légère qui mouillera parfois plus la route que les six cinglés qui la traversent à vélo.
Nous repartons au bout d’une demi-heure peut-être, avec de nouveau cette différence entre les capacités des uns et des autres dans les bosses. Je crois que c’est après la deuxième difficulté, c’est à dire autour des kilomètres 150 à 155, que je me retrouve le seul en fin de groupe à côté de Fabien, discutant avec lui en me disant que je n’aurai aucun mal à recoller à la prochaine bosse, quand il ressent une « bizarrerie » à la roue arrière. Après un regonflage qu’il pensait suffisant pour franchir le cap de la nuit, il faut se rendre à l’évidence. Il a percé, nous sommes seuls et il faut laisser filer le groupe. A 4h15 je téléphone à Michel, l’organisateur en tête avec deux autres participants, qui nous souhaite bonne chance pour la suite.
Malheureusement, le vélo de Fabien est un Specialized Roubaix Pro, qui est certes un vélo de course vendu pour être plus confortable que la moyenne des coursiers en carbone, mais est dépourvu de toute fixation pour les porte-bagages et autres appendices utilisés en randonnée. Et donc, pour démonter la roue arrière, il faut d’abord démonter partiellement le porte-bagages qui est fixé sur le même axe, en prenant soin de ne pas perdre les rondelles. Puis il faut réparer, c’est à dire se battre avec un pneu si neuf qu’il refuse de sortir de la jante pendant de longues minutes, puis enfin remplacer la chambre à air par une neuve, regonfler, s’arracher les yeux à essayer de lire un micro manomètre dans la nuit, remonter le tout, remballer les bagages et constater qu’une grosse demi-heure a passé !
Nous sommes donc à deux pour affronter la suite du parcours. Nous adoptons un rythme un peu moins soutenu que dans les 150km qui ont précédés, attendant que survienne le morceaux de bravoure dont mon compagnon de route garde un lointain souvenir pour l’avoir affronté il y a un certain temps. Pour ma part, j’ai édité le parcours en quatre cartes sur fond IGN grâce à Openrunner et j’ai surligné les huit principales bosses.
La plus longue doit commencer aux environs de St Hipolyte et nous fera passer de 375m à 775m en moins de 10km, avec deux passages à plus de 7%. Au plus fort de la pente, je monte entre 12 et 13km/h sur mon plus petit braquet, un 39x28. Dans ma tête un air de la bande originale du Vélo de Ghislain Lambert, de mon ami Philippe Eidel, que j’ai ajouté mercredi à mon film. Je monte toujours avec un air binaire dans la tête. Parfois c’est Les Copains d’Abord, parfois un air récemment entendu, parfois encore c’est une musique qui se compose d’elle-même, comme dictée par les sons de mon souffle, et dont je ne prends conscience qu’au bout de quelques kilomètres.
Au sommet, je relâche en basculant et j’attends que mon camarade me rejoigne. Le jour commence à poindre et les brumes matinales dessinent les dégradés d’une peinture chinoise. Avant de rejoindre notre deuxième point de pointage, Villers-le-Lac, nous devons encore passer à l’altitude de 1040m où culminera notre randonnée, je descends donc seul sur Villers, kilomètre 210, m’arrêtant un moment dans les lacets qui y mènent pour admirer d’en haut les reflets d’argents sur les larges méandres du Doub. Fabien me rejoint devant la grande boulangerie-pâtisserie où je viens de poser mon vélo. Comme il a oublié son antivol nous faisons serpentin commun, avec un antivol à câble que le premier voleur ouvrirait sans presque y toucher.
La serveuse de cet établissement, qui fait salon de thé et regorge de magnifiques gâteaux de fête, n’a malheureusement pas de flan pâtissier à nous proposer. Nous nous contenterons donc de son charmant sourire créole, de café, de thé et de pains aux raisins. Je remplis une de mes gourdes d’eau fraîche au robinet et l’on a la gentillesse de répondre positivement, quoi qu’avec surprise, à ma demande d’eau bouillante pour l’autre. Avec les ingrédients sortis de ma sacoche, je vais ainsi pouvoir me préparer presque un litre de thé citron largement sucré.
Nous quittons Villers en direction de Morteau, où après avoir un peu demandé notre chemin, nous découvrons avec un goût inégal la grimpette qui va nous réjouir les gambettes sur 5km dépassant parfois les 10%. Fabien râle alors que je me réjouis et pars bille en tête. Bien entendu, il me rejoint quelques kilomètres plus loin et nous recommençons le manège à chaque bosse.
C’est un peu le côté inégal du vélo. Autant un rouleur moyen peut trouver de l’aide en prenant la roue secourable d’un camarade qui l’abritera du vent, autant un grimpeur ne peut pas aider un copain dans la difficulté. Certains coursiers d’une autre époque m’ont bien raconté comment les équipiers d’alors poussaient parfois leur leader pour qu’il s’économise en vue des grands cols, mais il s’agissait de cyclistes d’un autre gabarit que des cyclotouristes et ils faisaient là leur métier. Nous autres, modestes pédaleurs, n’avons d’autre choix que de monter chacun à son rythme.
Pour ma part, je ne peux pas trop ralentir pour accompagner un copain, sous peine de perdre ce fameux rythme, celui de ma petite chanson dans la tête, celui qui entretient ma hargne et me fait passer du dur au dépassement de moi-même, de la pesanteur à la légèreté. Le tout sur une bicyclette en acier qui pèse trois ou quatre kilos de plus que les modernes montures en carbone desdits copains, ce qui ajoute à mon plaisir.
Et après on descend. Et justement, c’est dans une descente enivrante, où je me suis jeté avant que nous ne nous soyons regroupés, que je vais percer. Une voiture que je laisse passer alors qu’une courte ligne droite lui en laisse l’occasion, un nid de poule aussi petit que rude et je sens rapidement ma roue passer du net au flou. En écrasant les poignées, je passe très rapidement de 50 à 0km/h, sans essayer d’amorcer le virage qui s’annonce, de peur de déjanter. Merci Michelin et Shimano ! Le pneu n’a pas eu le temps de se découper sur les flancs, grâce au freinage ultra court dont mes mains se souviendront. Je suis sur le bas côté en train de prendre mon nécessaire de réparation quand arrive Fabien. Il est 13h05. Nous sommes aux alentours du kilomètre 250.
Heureusement qu’il est là, car si j’avais très mal aux poignets depuis un moment, maintenant j’ai du mal à forcer avec mes doigts à cause de mon freinage. Et comme mon pneu avant n’a jamais été démonté, il est aussi récalcitrant que celui de cette nuit. C’est donc les mains de Fabien qui viendront péniblement à bout de ce pneu. Cependant que j’ironise en disant qu’en perçant de l’avant, plus facile à démonter, et en plein jour, je ne nous ai fait perdre qu’une douzaine de minutes malgré un pneu difficile, nous enfourchons nos vélos. Et là, catastrophe… l’arrière est maintenant à plat ! La crevaison, également par pincement de la chambre à air lors du choc avec le nid de poule, a été plus lente à l’arrière mais tout aussi réelle. Je n’avais qu’une chambre à air de rechange et Fabien m’en passe une. Le pneu arrière a déjà connu des crevaisons et vient facilement. Cependant lorsque nous repartons il est 13h40. Ma double crevaison nous a fait perdre autant de temps que celle de cette nuit. Balle au centre ! À présent, il nous reste les rustines si nous devions percer à nouveau.
Bien que Michel nous ai autorisé à pointer à Salin-les-Bains plutôt qu’à Nans sous Sainte Anne, nous respectons le tracé prévu et pointons dans le seul commerce que nous trouvons ouvert en cet après-midi, ce qui nous vaut la dernière difficulté. Sortis du village, nous montons de 200m en 3km environ. Fabien est démoralisé. J’essaie de le faire rire en lui disant pour la cinquième ou sixième fois que c’est la dernière côte, mais ça ne marche plus guère. Au petit matin, mes jeux de mots avec les noms des villages avait plus de succès. Là, mon public n’est plus très réceptif à l’humour, je tente encore un : « t’inquiète, pas, au sommet ça ne monte plus ! » Flop !
J’arrive à Salin, kilomètre 301, avec peu d’avance. J’ai fait très attention dans la descente, ne dépassant pas les 40km/h, ce qui est un gâchis sans nom. J’ai fait semblant de ne pas entendre la petite voix qui me rappelait que les freins sont pour les lâches et je n’ai pas lâché ces derniers. À un croisement d’où part un contre-la-montre, j’attends Fabien et nous poursuivons notre route en direction de la sortie de Salin en comptant prendre des sandwichs au bar de la sortie du bourg. Hélas, ce dernier n’a plus de pain, et nous finissons par manger devant le supermaché Atac, Fabien soulageant son envie de fruits et de laitages et moi tentant de trouver bon un piètre sandwich industriel. Fort gentiment, la charmante accompagnatrice d’un concurrent du contre-la-montre me prête une pompe à pied pour mettre la bonne pression dans les pneus de ma monture.
Les quelques petites bosses qui nous font quitter Salin n’arrangent pas le moral de mon compagnon de route, malgré la descente douce et longue qui suit. Nous prenons des relais face au vent, mais alors qu’il est ordinairement bien meilleur rouleur que moi, il y renonce. Je me sens fier de pouvoir enfin lui être utile, mais même à 25km/h, il ne tient plus ma roue. Au kilomètre 326, à Mont-Sous-Vaudray, il ne peut vraiment plus avancer dans la bosse qui amorce la prochaine longue ligne droite. Il a la gentillesse de me dire d’y aller et je lui réponds qu’il me retrouvera sans doute de l’autre côté, mais je vois bien qu’il roule deux fois moins vite que moi. Et dans la fameuse ligne droite, qui traverse une forêt, je profite de l’abris du vent et d’une certaine liberté de rouler pour atteindre seul, Chaussin, km343, le dernier point de contrôle avant l’arrivée.
Fabien arrive quand je repars du café où j’ai fait tamponner ma carte et remplir mes bidons. Cette fois, pas le temps de faire infuser un thé, donc j’ai utilisé un sachet de poudre de boisson pour l’effort d’endurance. Je repars de nouveau seul pour 67km de contre-la-montre, car j’ai décidé de rentrer avant 20h. Je visais originellement un brevet en 21 à 22h, soit une arrivée entre 17h09 et 19h09, vu notre départ la veille à 21h09. Mais j’estime à présent que si je le fais en moins de 23h j’aurai remplis mon pari, compte tenu du temps perdu en crevaisons et autres.
Alors j’écrase les pédales, autant qu’il m’en reste la force. J’effectue au moins la moitié si ce n’est les deux tiers de la distance le nez dans le guidon, en poursuiteur. Le moral baisse un peu quand je me rends compte que le quatrième feuillet de mes cartes ne va pas tout à fait jusqu’à l’arrivée. Mais dans les trente derniers kilomètres, alors que la navigation d’un village l’autre me fait perdre un temps précieux, je m’applique à forcer dans le plat et face à un vent assassin. Je force et enroule les manivelles à m’en faire plus que mal. J’ai l’impression, à moins de 30km/h, parfois à peine plus que 20, de découvrir ce que veut dire souffrir sur une bicyclette. Mais le chrono est là, juste devant moi, accroché à la potence aussi solidement que je suis attaché à ne pas le laisser se jouer de moi. Lui, le vent et moi nous battons.
J’arrive à Chevigny Saint Sauveur à 19h45, mais je ne sais pas par où rejoindre la salle des fêtes. J’ai l’impression de perdre mon temps dans une zone industrielle, mais je me rendrai compte plus tard que j’ai fait une ligne presque droite entre mon point d’entrée dans la commune et l’arrivée. Là, j’ai la surprise de voir Fabien repartir. Il y a quelques avantages à connaître les raccourcis du coin. Juste derrière moi, un participant de Montbard, celui qui est parti une demi-heure après les autres. Celui-là aura fait 400 bornes seul. À Genlis, kilomètre 389, alors qu’il demandait son chemin, il nous a vu passer, ma hargne et moi, et nous a suivi.
Dans la boîte de dépôt des cartes, il y avait celle de Serge, bien entendu, et celle d’un ou deux autres. Cette fois je n’ai pas regardé leur temps. Je m’en moque. Pour moi, j’ai fait ce brevet en 22h45 dont 18h15 en selle. J’aurais pu le faire dans le temps que je visais, si…
Ce dimanche, j’ai à peu près récupéré, mais j’ai mal aux poignets et aux doigts. Une sorte d’engourdissement qui me donne du mal à tenir correctement une fourchette, à ouvrir un pot de grattons de canard ou à taper sur le clavier. Morgen ist noch ein tag !
Et demain ce sera le brevet de 600, en Aquitaine cette fois a priori. D’après Michel, l’organisateur de ces brevets Dijonnais, c’est le plus difficile surtout à cause de la fatigue accumulée quand vient la nuit, et non à cause des 200km supplémentaires. Dans ce cas, vue la fatigue avec laquelle j’ai abordé ce 400, je suis prêt !