J'ai lu quelque part qu'il y a un avant et un après PBP. Je comprends désormais. Cette expérience restera gravée longtemps!
J'ai commencé à m’intéresser à la longue distance il y a peu, sur des parcours perso allant de 200 à 500 kms, la suite logique était donc les brevets. Au fur et à mesure des distances, j'ai commencé à caresser l'espoir de participer à PBP. Espoir qui s'est vite envolé quand l'ACP a annoncé qu'il n'y avait plus de places. J'ai tout de même fait le 600 et j'ai bien fait. A l'annonce des 1500 places ouvertes, j'ai sauté sur l'occasion, me voilà un pied dans l'aventure.
M-1 : je roule régulièrement même si la chaleur cuisante du sud ne motive pas, j'ai participé à RAF 300kms en guise de dernier entraînement et j'ai décidé d'entreprendre un petit régime pour mettre toutes les chances de mon côté : pas d'alcool et je fais attention à ce que je mange. Sans trop me priver, je perds presque 4 kg en un mois (il faut dire que d'habitude je vis dans l'excès... carpe diem!)
J-1 : après une semaine de repos en Bretagne au frais chez de amis, on arrive à Rambouillet en famille. C'est parti pour le contrôle des vélos. Je suis impatient d'aller admirer les machines du concours, d'autant qu'un copain y participe. Son Alouetta est magnifique! Les autres aussi, des bijoux d'artisanat.
On ne s’attarde pas plus, notre studio est à 45 min, j'ai envie de me reposer un max. Mais le stress l'emporte, je me pose LA question : vais-je y arriver? J'ai fini le 600 dans le dur, est-ce que je n'exagère pas un peu? Bref je dors mal et peu cette dernière nuit...
J : sas de départ, ça cause dans toutes les langues du monde, je suis tellement content de participer à un événement aussi cosmopolite, et fier de pratiquer une activité capable de cela!
Le départ est donné, un dernier câlin à ma douce et au p'tit, un tampon sur le carnet... j'y suis!
Michel avec qui j'ai roulé le 600 m'avait donné deux conseils avisés : 1) ne pars pas trop fort, la tentation est forte de se mettre dans des groupes trop rapide ; 2) ne lutte pas trop contre le sommeil, dors un peu quand tu en as besoin. Fais le en 3 fois 400.
Jeune con prétentieux que je suis, je zappe d'emblée le conseil n°1... j'attrape des groupes bien trop rapides pour moi, mais c'est trop tentant, ça fuse, pendant 150 kms je n'arrêtes pas de doubler du monde, je sais que je le paierai plus tard mais je me régale. La nuit passe, les écarts entre les groupes se creusent, je redeviens par la force des choses plus raisonnable. Jusqu'à Fougères ça va bien.
Je m'arrête boire un café au bord de la route, surpris par l'hospitalité du public local quand je demande le tarif : "vous êtes nouveau? il y a beaucoup de nouveaux cette année" me dit-elle. Je comprends à ce moment-là que PBP ce n'est pas qu'une histoire de d'organisateurs et de cyclos. C'est aussi un public qui est là de jour comme de nuit, pour nous encourager. Je me dis que je suis là tranquille à pratiquer ma passion, et ce sont des gens que je ne connais pas qui vont m'aider à aller au bout. C'est grandiose! Je me sens porté par les cris d'encouragement et les applaudissement.
La suite va se corser... Le vent d'ouest se pointe, et je n'arriverais plus à trouver aucun groupe à mon allure jusqu'à Brest. Je lutte seul contre ce petit vent détestable.
Heureusement, quand le moral diminu, hop une petite fête de village, on se requinque au son de la bombarde et des accordéons. Je regarde ces gens en train de boire et danser, rha la la je suis tenté de déposer mon vélo et d'aller me saouler avec eux... hum mais j'ai du pain sur la planche.
Toujours aussi stupide, je fais l'impasse sur le conseil n°2, je veux aller à Brest sans dormir, du coup je me retrouve des heures à pédaler ralenti par la fatigue, ce n'est absolument pas rentable. Je roule jusqu'au sommet des Monts d'Arrée et c'est à ce moment-là en pleine nuit, au point culminant, que je ne peux plus lutter contre la fatigue. Je m'endors là-haut. Pas longtemps car je suis vite réveillé par le froid, je redescend transis, grelottant. Quelle erreur de gâcher autant d’énergie à trembler...
La suite se corse de plus belle : peu avant Brest, une intense douleur dans le genou droit. Je pédale dans la douleur puis j'ai des violents chocs qui me font m'arrêter à plusieurs reprises. Je sens que c'est la fin de l'aventure pour moi.
Je prends un lit dans le dortoir de Brest, je dors deux heures jusqu’au lever du jour.
Je repars, 35h se sont écoulées depuis le départ. Je suis dans les temps, la petite sieste m'a fait un bien fou. Je retraverse les Monts d'Arrée, de jour sous un soleil radieux, le genou me fait très mal mais j'ai repris du poil de la bête, on a passé la moitié, on croise les cyclos encore sur l'aller et ne boudons pas ce plaisir, ça fait du bien au moral. C'est bon, je prend du plaisir sur mon vélo! Je roule quelques temps avec un unijambiste. On papote ensemble, voilà qui redonne du baume au cœur de rencontrer quelqu'un avec une telle philosophie de vie, et je relativise ma douleur au genou.
Je roule pépère jusqu'à Loudéac, quelquefois avec des groupes mais je suis obligé de marquer des pauses quand le genou me lâche. Je rattrape deux fois des copains sur le parcours, on roule un peu ensemble puis on se sépare. A ce niveau là de la rando, je trouve qu'il est très difficile de rouler en groupe tant les rythmes et besoins sont différents.
Je lâche un copain à Tinténiac, je suis fatigué aussi mais j'ai envie d'aller à Fougère, ça marque la moitié du retour, j'aime bien les chiffres ronds! Je prend un dortoir, mais j'ai du mal à m'endormir. J'ai le feu sous les pieds, mes orteils commencent à s'engourdir et ça me fait des décharges électriques. Petite sieste quand même et ça repart bien jusqu'à Villaine.
Il reste 200 kms, et je sais qu'ils vont être très durs. Le genou ne va pas mieux, mais j'ai l'impression que mon cerveau s’accommode des douleurs que j'inflige à mon corps : je pense à la fable de la grenouille. Je suis la grenouille!!!
Passé Villaine jusqu'à Mortagne, je ne prends plus de plaisir. La traversé du parc naturel du Perche est difficile. Beaucoup de monde me double, j'ai l'impression d'être le seul fatigué, c'est pas bon pour le moral. Puis on arrive enfin à la sortie du Perche et là ça re-roule. Le bitume est meilleur, j'attrape un groupe de Français jusqu'à Dreux avec qui on roule à bon rythme, ça fait du bien!
Je mange un bout à Dreux, au moment de partir je croise un copain qui arrive. On papote 10 minutes, je sais que je suis large alors j'en profite. C'est la fin. Je vais boucler mon premier PBP dans les 80 h que je m'étais fixé. Mais ne vendons pas la peau de l'ours, il faut rallier Rambouillet.
On se fait la fin tranquille avec un local, on est tous les deux à bout de force. Je ne sais plus comment poser mes mains sur le cintre, aucune position ne me convient. J'ai mal aux pieds. Mon genou me fais tellement souffrir. Je ne peux plus poser mes fesses sur la selle. Je suis heureux.
Il est deux heures passées quand je rentre dans le Parc de Rambouillet, je passe la ligne d'arrivée après 78 h 58 min d'une folle aventure, et ça me donne des frissons de la raconter.
Je retrouve ma petite famille fière. Je l'ai fait.
Bravo à tous les participants, vous randonneurs, vous êtes tous simplement fous! Bravo aux organisateurs et aux bénévoles, près de 7000 cyclistes, cette gestion sans faille est une prouesse. Bravo au public toujours là pour les encouragements
L'heure du bilan approche, et il faut tirer leçon des erreurs commises pour recommencer mieux. Mais avant ça, je sens venir une période de blues d'après PBP. C'est déjà fini...