Du 20 au 24 août 2007 Bruno fait Paris-Brest
Départ à 21h50 dans la seconde vague de cyclos, ça démarre plus calme qu’en 2003. On traverse la banlieue sous la grisaille, pas encore de pluie en vue.
Pour cette deuxième participation j’ai fignolé l’éclairage : deux Cateye 500 à l’avant, une lampe frontale fixée au casque et deux feux à l’arrière. Pour le reste, j’ai 5800 km, au compteur et une Brooks B17 pur cuir.
Ecoutant la météo, je me suis équipé de sur-chaussures, jambières et veste de pluie. La route est libre pour nous et les badauds nous applaudissent.
On roule en gros paquets jusqu’à Mortagne-au-Perche où nous faisons un arrêt café de 20 minutes environ, en sortant reprendre les vélos, surprise ! La pluie est au rendez-vous, belle averse dont l’intensité varie, mais ça tombe toujours assez dru, la progression avec les lunettes pleines d’eau se fait plus incertaine.
Au lever du jour, on se retrouve à un petit groupe de cinq cyclos, un italien, deux anglais, Serge et moi, quelque chose a du nous échapper, car au bout d’un moment nous nous retrouvons seuls sur la route, plus aucun vélo en vue, pas une lumière, rien. L’inquiétude s’installe, on se retrouve à l’entrée d’Alençon. Un livreur sur le pas de la porte d’un bistrot nous remet sur la bonne route.
Arrivé à Villaines-la-Juel Serge remarque que nous n’avons que 1.5 km de plus au compteur que sur le road-book, ce détour n’a pas été trop pénalisant, notre collègue britannique nous félicite chaudement.
Nous profitons de l’arrêt pour prendre un copieux petit déjeuner et remplir le camelback, les averses s’espacent, mais le revêtement de la route est très granuleux, il ne rend pas bien, quelques beaux casse-pattes et des petits raidars vont marquer la traversée de la Mayenne, on rattrape les premiers tandems et quelques vélos carénés.
Un tandem japonais avec une passagère qui se déhanche terriblement à chaque coups de pédale, elle est souriante, on dirait qu’elle danse, sur sa veste elle a marqué « TOMO » avec du scotch réfléchissant.
Nous arrivons à Fougères autour de midi, pour entrer dans la ville c’est toujours le même cirque ! On arrive au contrôle sous une pluie battante, pointage, repas et c’est reparti.
Pour sortir de Fougères c’est le même bazard que pour y entrer, avec en prime un terrible raidillon.
Le temps c’est apaisé, il fait presque bon, on aperçoit un léger soleil, des groupes se sont formés et l’optimisme revient. L’embellie est de courte durée, il faut vite re bâcher car le déluge s’abat sur nous. La route jusque Tinténiac est une succession de montagnes russes.
Arrivé au contrôle j’achète des barres au stand Overstim’s, on s’arrête prés d’une heure car Serge a rencontré des cousins (et ça papote !). C’ est reparti, montée jusqu’à Bécherel, puis la qualité de la route s’améliore, la pluie nous épargne un peu, la forme n’est pas trop mal, je craignais la pluie sur les genoux, pour ne pas me refroidir, j’ai des jambières d’hiver et des sur chaussures en gore-tex, ce qui n’empêche pas d’être trempé jusqu’aux os, mais je n’ai pas froid, quand il pleut beaucoup l’eau arrive dans les chaussures en dégoulinant le long des des jambes, ça fait flic floc à chaque coup de pédale, je comprend qu’on appel ça des pompes !
Arrivé à Loudéac, comme prévu une foule de vélos nous attend, c’est la galére pour trouver une place pour poser la bécane, un repas copieux est le bienvenu, j’ai l’estomac dans les talons, sur le vélo je grignote des barres Isostar et Overstim’s, gustativement ça passe bien, pas d’intolérance mais ce n’est quand même pas un grand moment de gastronomie.
Durant le repas on entend un grand bruit à une table du fond de la salle, un cyclo vient de perdre connaissance, le toubib se précipite, je ne sait pas si ce gars là verra Brest. Un peu plus loin un groupe de cyclos avec une fille qui craque nerveusement, elle passe du rire aux larmes. Elle a une tendinite et parle d’abandonner, ses collègues essayent de la réconforter.
Après le repas, deux heures de sieste dans notre dortoir de fortune, on est couchés à l’arrière du Renault Scenic de Serge, il a démonté la banquette arrière et son cousin assure le pilotage de l’engin sur les routes de l’Ouest.
Je somnole plus que je ne dort dans mes vêtements moites.
Départ à deux heures du matin sous une nuit étoilée mais diablement fraîche, les premiers kilomètres sont terribles, je suis gelé, la route n’est qu’une succession de montées et de descentes et le revêtement est en très mauvais état jusqu’à Carhaix.
Au contrôle, scénario habituel : bénévoles très sympas, bon petit déjeuné, le seul point négatif est l’état lamentable des toilettes, c’est une constante que l’on retrouvera de contrôle en contrôle.
Après Carhaix ça monte tout le temps, mais le moral est bon, la forme est là et on enchaîne les grimpettes dans la bonne humeur !
Le temps semble s’arranger, la montée sur Roc-Trévizel est somptueuse, arrivé au sommet la vue est superbe, puis c’est la descente jusqu’à Sizun, là je m’arrête pour hotter ma veste de pluie et mes sur-chaussures que je porte depuis le départ de Paris.
Le beau temps fait sortir les badauds et nous avons droit à des applaudissements.
Plus on approche de la mer et plus le vent est présent, les derniers kilomètres sont marqués par de terribles grimpettes et de grosses bourrasques, une petite halte sur le pont Albert Loupe pour admirer la rade de Brest sous le soleil et on attaque l’ultime montée jusqu’au contrôle, il y a une circulation très chargée. A l’arrivée, une boisson nous est offerte, un grand merci aux organisateurs, il faisait soif ! Repas puis un coup d’huile sur la chaîne, j’ai emmené une petite bombe d’huile et un chiffon, ce n’est pas du luxe vu la météo.
Départ de Brest sous un grand soleil, le moral est au beau fixe, le retour vers Roc-Trévizel se fait avec un vent légèrement favorable, on croise des concurrents qui n’ont pas encore vu Brest, certains se sont endormis sur le bas côté de la route, complètements épuisés, pour eux c’est cuit, ils n’auront jamais la force de retourner à Paris !
Retour sans encombres à Carhaix avec quelques gouttes de pluie en guise de bienvenue, sandwich Badoit et toujours les toilettes qui sont à l’agonie. Départ sous la grisaille, la route est humide, les premières averses nous rattrapent avant la tombée de la nuit, dès qu’il fait sombre la progression est plus difficile, avec la pluie sur les lunettes je n’y vois pas grand chose.
Retour à Loudéac où il y a toujours autant de monde, c’est le déluge, j’aperçoit le stand Salmon, mais le courage me manque de devoir encore prendre une averse pour admirer les beaux vélos cousus main.
Sieste de trois heures à l’arrière de la voiture de Serge, je suis gelé malgré ma couverture de survie. On repart sous un petit crachin, je perd Serge dès le départ, je le crois derrière et je l’attend en vain, puis je part seul, ça roule bien, pendant un moment je fais route avec un Italien très volubile qui me dit toute son admiration pour Jacques Anquetil et Fausto Coppi ! Arrivé au contrôle secret je retrouve Serge, en réalité, il roulait devant moi, fin de l’énigme. Après ces pérégrinations, on décide de casser la croûte au contrôle.
La route me paraît agréable et la montée sur Bécherel ne me casse pas trop les pattes. Pendant la traversée du bourg, crevaison de Serge, réparation rapide grâce à la pompe bienveillante d’un cyclo Danois.
Arrivée à Tinténiac, le temps est gris, mais la pluie se tient à distance, le repas n’est franchement pas terrible, jusqu’à présent la qualité du ravitaillement était plutôt correct, mais là c’est de la sous-cantine scolaire, le cuistot peut dormir tranquille, il ne risque pas d’avoir une étoile au Michelin.
L’étape jusqu’à Fougères n’est pas très longue, mais elle est agrémentée de plusieurs raidillons vicelards qui auront raison des mollets qui emmènent de trop gros braquets. Je remarque un phénomène amusant, on est assez souvent dépassés par des groupes qui roulent très dur, façon cyclosport et environ une heure après, on est à nouveau doublés par les mêmes zigs, la grande question est : Mais où se cachent-ils pendant une heure ?
Quel est l’intérêt de rouler à pareille allure si c’est pour avancer à la moyenne des cyclos plus contemplatifs, ils faut dire que ces gars-là nous ont laissés perplexes.
Arrivée à Fougères sous un temps plutôt agréable et on repart après les formalités d’usage : Pointage et repas, je transpire dans la grosse montée à la sortie de la ville.
Les stands de ravitaillement improvisés commencent à fleurir au bord de la route, nous sommes en Mayenne et malgré le temps capricieux des gosse en vacances ont dressés un petit stand avec une table de camping et quelques paquets de gâteaux secs, le tout sous la surveillance discrète des parents qui garde leur progéniture à l’œil. On grignote un petit gâteau, les enfants contemplent nos bécanes crottées, on laisse quelques pièces sur la table, un Anglais peu habitué à l’Euro est plus généreux, aussitôt la maman se précipite et lui fait comprendre que pour un pourboire c’est bien trop, notre collègue confus remplace son billet par quelques pièces jaunes, mines déconfites des mômes, les temps sont durs !
Peu de temps après, une ambulance des pompiers puis un véhicule de la gendarmerie avec gyrophare et sirène arrivent à vive allure en sens inverse, on se doute qu’il y a eu du grabuge derrière nous. On traverse Gorron sous un timide soleil, plus nous progressons vers Villaines-la-Juel et plus le temps s’assombrit. La pluie nous rattrape peu avant le contrôle, et c’est sous un déluge digne de Noé que nous entrons dans Villaines, je profite d’une cabine téléphonique pour donner des nouvelles à la famille.
Rituel maintenant immuable, pointage puis ravitaillement, l’ambiance est morose, à notre table deux vélos spéciaux Alsaciens abandonnent sur casse de matériel, ils vont rentrer à petite allure emmenant quelques éclopés dont une fille totalement épuisée qui dort sur un banc à côté de nous.
La nuit est tombée quand nous quittons Villaines, il ne pleut presque plus, mais il fait un froid de loup.
Nous faisons route sous un superbe ciel étoilé, le moral remonte d’un cran, mais je commence à avoir de sérieux coups de pompe, je m’endors littéralement sur le vélo, je commence à rouler en zigzag. Pour rester éveillé j’enlève ma veste de pluie et ne garde qu’un coupe vent léger, l’effet est immédiat, le froid me tient éveillé, je n’ai plus sommeil et la nuit est magnifique.
L’état de la route s’est amélioré et le moral remonte, aussi loin que le regard peut porter j’aperçois les petites lumières rouge des cyclos qui pédalent vers Paris, après une longue descente on arrive à Mortagne-au-Perche, la salle est pleine à craquer partout des cyclos endormis dans des positions incroyables il y a un brouhaha digne d’un jour de marché.
Le manque de sommeil se fait sentir, la concentration devient problématique, je deviens facilement irritable, avec Serge on décide de s’octroyer trente minutes de sommeil, je somnole sur le paillasson derrière une des portes du gymnase, c’est le seul endroit de libre que j’ai pu trouver. Dès que je me lève, un nouvel arrivant prend ma place.
Un café et en route, l’atmosphère est fébrile, quelques-uns s’engueulent, la fatigue et la crainte d’arriver hors délais ont quelquefois raison de la diplomatie .
L’étape Dreux-Mortagne se fait à un bon rythme, et je n’hésite pas à emmener gros, je me sent bien, le jour se lève, il fait gris avec un petit soleil très pâle.
La traversée de la Beauce serait déprimante s’il n’y avait pas cette animation du tonnerre q’est PBP, on voit de tout : Vélos carénés, vélos couchés, tandems, c’est un spectacle extraordinaire, et ces visages marqués par l’insomnie, sculptés par l’effort, pour certains chaque coups de pédale est une épreuve, mais portant ils avancent, grignotent kilomètres après kilomètres.
La finale vers Paris permet de saluer des gars avec qui j’avais roulé en 2003, c’est un petit groupe de cyclos de la région de Arras qui compte pas mal d’éclopés, ils roulent à l’économie, tous semblent très las, roulent en silence, ils ont hâte de retrouver Paris.
Au contrôle de Dreux, ultime huilage de la chaîne et ravitaillement, je mange un Paris-Brest, justice est faite, comme çà, on est à un partout !
Maintenant c’est la dernière étape, je roule dans un groupe d’une cinquantaine de cyclos et dans ce groupe il y a un attraction formidable : C’est un équipe Espagnole, de Majorque je crois, ils ont un capitaine de route haut en couleur, il dirige sa troupe avec un sifflet à roulette, chaque changement de direction, stop, ralentissement est ponctué de coups de sifflet, je ne sait pas s’il a sifflé comme ça pendant 1200 km, mais ce gars-là ne manque pas de souffle, son air martial impose le respect et tient à distance les plaisantins.
Plus on approche de Paris et plus la route devient infernale, les automobilistes sont devenus complètements hystériques, nous arrivons au pays de la bagnole reine et on nous le fait comprendre à coups de klaxon et autres noms d’oiseaux, on redescend sur terre brutalement, trois jours et demi d’évasion au pays du vélo s’achèvent en pénétrant sur le territoire du terrible homo sapiens connardus, on approche de Saint Quentin, le fléchage a disparu, le groupe reste soudé, on attend les traînards et je ne suis pas trop pressé d’arriver. Le manque de sommeil se fait sentir. Je crois être sujet aux hallucinations, pendant plusieurs minutes je ne sait plus si je suis en 2003 ou en 2007, car autour de moi je reconnais des accents et des intonations de voix qui sont restées gravées dans ma mémoire. Je suis à quatre ans d’intervalles à peut prés à la même heure et à peut prés au même endroit avec quelques gars d’un club Belge, le guidon d’or de Arlon, un splendide maillot rouge, il y a un prof de math et son collègue Karl, on plaisante de cette coïncidence, peut-être qu’en 2011..
Nous touchons au but quand une grosse averse s’abat sur nous, il n’y aura pas eu un seul jour sans pluie !
Je franchis la ligne d’arrivée plutôt content de moi, je ne suis pas détruit physiquement, j’ai juste le cul un peu « tassé » les articulations sont en bon état malgré les intempéries, mais une fois dans le gymnase, c’est le blues du PBP qui m’envahit. Voir tous ces maillots de pays lointains, entendre des langues inconnues et contempler ces drôles de bécanes, dont pour certaines je ne suis pas certain de savoir comment elles fonctionnent et se dire qu’il va falloir attendre encore quatre ans pour revoir tout ça, c’est déprimant.
Paris Brest Paris est intemporel, c’est l’expression ultime de la fête, tu es en même temps acteur et spectateur, une sorte de bonheur au carré, PBP quoi !
De retour à Dieppe, il m’à fallut deux soirées complètes pour rendre à mon vélo son aspect initial : Nettoyage, graissage, remontage.
En regonflant la roue arrière à 8 bar, le flanc de la jante c’est ouvert sur une quarantaine de centimètres, les patins de freins ont creusés la jante et ce dernier gonflage lui fut fatale. Si cela c’était produit quelques jours plus tôt, j’aurais dû abandonné, avec en prime une belle gamelle.