En souvenir de Patrick, peut-être sa plus illustre journée :
22 juin 1970 - 3ème Tour de France Randonneur (Tour de 4910 kilomètres, bouclé en 353 heures et 10 minutes). 9ième étape : Colmars-Aiguebelle
Parti dès l’aurore de Colmars (04), la journée s’annonce – belle et grandiose -. Au programme, tous les géants Alpins : Allos, mon préféré, (le col de la Bonette n’était pas encore au programme de l’organisation). On prenait la N202 jusqu’à Entrevaux, puis, Annot et le col de la Colle Saint-Michel.
Le Vars – sur son versant court et abrupt -, l’Izoard – le majestueux – Rien ne résiste à mes mollets ! C’est la grande forme ! Une région qui m’a toujours transcendé, le temps est ensoleillé et la circulation rare, le déferlement des vacanciers n’est pas encore là !…
A 14h10, je pointe mon carnet de route à Briançon, après une descente vertigineuse ! Au Lautaret, surprise, la route d’accès au Galibier est fermée, (non encore déneigée). La raison, l’hiver tardif, et comme la course du Dauphiné-Libéré, ne l’a pas inscrit à son programme, on traîne….
Mais, pour le 1er juillet – il sera ouvert – m’assure-t-on ! Bref, limité par le temps, il est hors de question d’attendre, ni même de faire le détour par Grenoble. Pas de panneau d’interdiction, donc, à moi l’Aventure !
J’arrive à tenir sur le vélo trois bons kilomètres, puis, je me heurte aux premières congères et définitivement au «cirque blanc ». Là commence – véritablement – mon chemin de Croix ! Vélo calé sur l’épaule, le souffle court, je progresse péniblement à travers les rafales de vent.
Tantôt enfoncé jusqu’aux genoux, tantôt en équilibre, côté ravin (suivant la nature de la neige). J’essaye de repérer les traces qu’ont laissés devant moi quelques randonneurs alpins. Dévissant parfois de plusieurs mètres.. Tirant, puis jetant ma monture, le calvaire se poursuit…
Là, dans un virage, j’aperçois le refuge – seul point de repère – L’épaule meurtrie, les pieds gelés, je grignote les derniers lacets. Une idée fixe – le sommet -
Le temps est maintenant brumeux et frisquet. Enfin ! voici le col. Mais, le passage du tunnel, (pour changer de vallée, en ce temps là, il n’y avait pas la route que l’on connaît aujourd’hui). Seul, le tunnel, froid et glacé, était de circonstance, il est condamné par une immense congère !
Rebrousser chemin ! Vous n’y pensez pas, après tant de labeur. Il ne reste qu’une solution, passer par-dessus ! ! ! Le vélo – à nouveau – fixé à l’épaule par une courroie, la pompe dans la main droite (me servant de piolet), j’entame «l’impossible exploit», – exploit – qui aurait pût ou dût, se terminer tragiquement, j’en suis – seulement – conscient aujourd’hui !
Procédant en zigzag, assurant chaque pied par des encoches faites, parfois, au couteau, la neige étant de plus en plus gelée. En équilibre permanent, la moindre glissade, et s’en est fini ! Le cœur battant la chamade, claquant des dents, je souffre en silence…
Puis la brume s’épaissit. Je n’y vois plus à un mètre – Je suis perdu – Planté comme un piquet, je prie de toute mon âme pour que les Dieux viennent à mon secours… c’est mon dernier salut ! Un quart d’heure, environ, s’écoule, où toutes les images du passé vous reviennent en mémoire. « Adieu ma mère ! Je t’aimais bien, tu sais ». Puis, soudain, c’est le miracle, le ciel se dégage, l’espoir renaît.
Je repars à l’assaut. La crête n’est plus qu’à cinquante mètres, c’est long cinquante mètres… A moitié paralysé par le vent glacial, les yeux remplis de larmes, je m’acharne sur la neige, comme une bête. Plus que cinq mètres, quatre, trois, deux, un. Je suis – enfin – sur la cime. Ainsi fus-je baptisé par mes pères : Le Cannibale des Cimes.
Le versant nord est lui, glacé. Seule solution, jeter mon vélo, et me laisser glisser sur le dos ! (heureusement qu’en bas, il y a un replat !). Allongé dans la neige, enlacé avec ma chère – moitié -, je hurle de joie. Plusieurs minutes se passent, où je savoure cet instant – d’immense – bonheur !
La victoire sur soi-même, contre les éléments, la peur, l’irréel. Mais le raid doit continuer, puisque le destin m’a épargné ! Une chance, ce versant est dégagé. C’est donc, dans d’assez bonnes conditions, que je plonge sur Valloire. (Briançon – Valloire distant de 58 kilomètres. Couvert en 5h10, environ plus de 3h30 pour parcourir les sept kilomètres sur la cime du Galibier. Ce qui démontre l’ampleur de la tâche !
Arrêt contrôle qui est le bienvenu. Réchauffer – un peu – mes membres endoloris, et reprendre quelques forces, car les hostilités continuent, eh oui ! Le Télégraphe où je rencontre la randonneuse Suzanne Motte (disparue tragiquement, quelques années plus tard). Elle vient de faire le tour, par Grenoble, en deux jours !
Dans la vallée de la Maurienne, où la nuit est déjà installée, c’est un véritable déluge qui m’accueille. La Nationale 6, démoniaque et dangereuse avec ces «TIR» venant d’Italie. Transis, je le suis (à cette époque là, j’étais – complètement – insouciant, je partais – souvent – avec la brosse à dents, sans gants, sans collant long, et encore moins de poncho…).
Reste à trouver un hôtel (Non encore converti à l’Autonomie Intégrale, il m’arrivait de temps en temps, de dormir dans un lit !). Mais, avec ma «bobine» noircie par la neige, mes vêtements en lambeaux, toutes les portes se ferment devant moi.
J’arrive ainsi à Aiguebelle où j’implore… le chef de gare, de me laisser rentrer dans la salle d’attente. «S.V.P. Monsieur, juste quelques heures, pour m’éviter une pleurésie». Ainsi s’achève cette – illustre – journée. 267 kilomètres qui resteront à Jamais gravés dans ma mémoire.
Patrick Plaine