Je pensais lire beaucoup de récits de Flèches Vélocio et de descentes en Provence vers la concentration de Barbentane, mais rien ne vient, alors en voici un :
Pareils à Vélocio qui retrouvait ses amis tous les ans en Provence, les cyclos convergent chaque dimanche pascal vers un rendez-vous mystérieux, mais toujours provençal. Cette année c’est près d’Avignon, exactement à Barbentane, qu’est fixée la Concentration qui lancera la saison nouvelle. L’ACP a réservé un bel hôtel tout proche, à Graveson. Reste plus qu’à s’y rendre.
De mon domicile de Bourg-la-Reine jusqu’à Graveson, Openrunner annonce 793 kilomètres et 3703 mètres de dénivelé. On a donc placé la barre très haute, en pensant n’y consacrer que quarante heures de pédalage. Trop haute, on s’en apercevra vite. Pâques est en mars, l’hiver n’a pas été tendre et la météo a mauvaise mine. Et puis, détail qui comptera, on a une année de plus. L’an dernier avec Max, quarante heures pour atteindre Vénejan avaient très largement suffi pour les 745 kilomètres nécessaires, mais c’était l’an dernier….
Nous sommes trois engagés pour ces 40 Heures Vélocio : Max Audouin, Victor Decouard et moi. Mais la nouvelle s’est propagée et trois amis ont souhaité faire un bout de chemin avec nous : Patrick Zunino jusqu’à Provins, Paul Lantuejoul jusqu’à Troyes et Élisabeth Lavaill jusqu’à Avignon. Pour Élisabeth c’est un peu plus qu’un bout de chemin, non ? Elle en a parfaitement conscience.
On quitte la maison à 4h00 pile, en ce vendredi de Pâques, sous un ciel gris et terne, mais sans pluie. À Villeneuve-Saint-Georges on récupère au passage Paul et Patrick et on attaque par un mur à 16%. Victor qui a choisi le pignon fixe et trimballe des sacoches surbaissées s’en sort plutôt bien. Le jeune patron des cycles Victor est en pleine forme.
Et les kilomètres défilent, réguliers et monotones sur la N19. Je suis tendu, anormalement tendu ; c’est qu’avec les années l’insouciance de la jeunesse a tendance à s’effacer. Dommage ! Peu à peu le vent se lève, léger puis de plus en plus fort, mais surtout contraire, franchement défavorable, disons-le. Il faudra faire avec. Patrick assure des relais très longs et même un peu de rab, pour nous quitter seulement à Sourdun. Grâce à lui on est à Nogent-sur-Seine dans les temps de l’an dernier. Arrêt boulangerie, court pour ne pas laisser tomber la pression comme disait quelqu’un qui s’y connaissait un peu, et ça repart.
Cette fois c’est Paul qui assure. Les wagons, accrochez-vous ! Aucun abri à part sa roue dans un paysage sinistre de champs inondés. À Troyes, toujours dans les temps, la locomotive est décrochée qui repartira, sans un coup de pédale tant le vent est fort, vers son domicile. Plus que quatre à poursuivre vers Bar-sur Seine ! Et c’est Victor qui s’y colle.
On retrouve le parcours classique des Flèches Vélocio par Les Riceys et Laignes, mais aussi les premières gouttes de pluie qui menaçaient. A Nuits-sur-Armançon petit arrêt pour remplir les bidons chez notre coiffeuse habituelle, avant une plus longue pause dans une boulangerie-sandwicherie à Montbard. On commence à avoir un peu de retard par rapport à la feuille de route. La jolie route le long du canal de Bourgogne enchante Élisabeth, toute heureuse de ne pas faire seule le parcours comme elle en avait l’intention initialement.
Et c’est la longue montée en faux-plat de Sombernon, qui se raidit sur la fin. On monte au rythme calme de cyclos qui ont déjà trois cents bornes dans les pattes. Max, qui a connu des soucis cardiaques depuis l’année précédente suit, mais son silence est inquiétant. Il connaîtra deux alertes dans la descente, évitant de peu la chute, lorsqu’un « plus de son, plus d’image » viendra subitement le cueillir. Que faire ?
À Dijon il est déjà 22h, et il faut pointer la carte de route. Le pressing et la fleuriste, nos habituels tamponneurs, sont fermés. On échouera dans le dernier kebab avant la sortie de ville. Dernier en situation géographique, mais aussi dernier en qualité de cuisine. On reste longtemps à se réchauffer un peu, et surtout à attendre d’immangeables choses. Mauvaise pioche ! Max prend la seule décision raisonnable, celle qui ménage l’avenir s’il parvient à faire traiter sérieusement ce problème de fibrillation auriculaire en rentrant à Creil : ne pas poursuivre. Il ne trouvera malheureusement aucun hôtel à Dijon, tous complets, et passera une nuit blanche dans l’abri précaire d’une laverie. Le lendemain un TER le conduira à Lyon, puis un autre à Avignon où il retrouvera ses amis de l’ACP.
Plus que trois ! Les difficultés sont derrière et la route des grands crus se déroule, facile et sans pluie avec un vent qui est bien tombé, mais il fait très froid. Victor qui a beaucoup travaillé ces dernières semaines pour monter son magasin de cycles et Élisabeth qui, elle aussi, a dû s’occuper à plein temps de ses élèves, n’ont pas eu leur compte de sommeil avant le départ. C’est le seul avantage des retraités, de pouvoir disposer d’une batterie du sommeil chargée à bloc. Bref dès qu’on repart ils s’endorment, et à Beaune ne résistent pas au sas éclairé et chauffé d’un Crédit Agricole.
Plus qu’un ! En effet plutôt que de les regarder dormir j’ai préféré poursuivre seul, à un rythme certes plus lent, mais roulant. Rester roulant, même lentement, mais roulant, tel est le huitième commandement secret de Vélocio. Et la litanie des villes bien connues se poursuit : Chagny, Chalon, Tournus, Macon… Dire que tout va bien serait très exagéré. En effet le mal, classique chez moi en longue distance, de pencher à droite se réveille. Je suis de plus en plus de travers sur mon vélo qui est bien droit. Quand je regarde vers le bas je vois la boîte de pédalier toute à droite du tube de selle. Mauvaise position, impossible à corriger, qui fait bien chuter la vitesse. Après Macon et 470 kilomètres de route, à Crèches-sur-Saône, je décide d’imiter mes deux équipiers et je choisis un sas de Caisse d’Épargne. Je le connais ; l’an dernier nous y avions dormi une petite demi-heure avec Max. Je regarde l’heure : 5h42, mets l’alarme sur 6h00 et sombre aussitôt. À 5h57 je me réveille, ayant chassé complétement le sommeil ; c’est reparti.
Il fait de plus en plus froid, alors j’enfile toutes mes pelures, imper compris, bien qu’il ne pleuve pas. Je roule plus droit pendant une petite heure mais ça ne dure pas et la tour de Pise revient. Faut faire avec, mon pauvre monsieur ! À Villefranche, petit déjeuner bien venu, au même endroit que l’an dernier où la dame me reconnaît et demande des nouvelles de Max. Ça fait plaisir.
Je me paye une crevaison avant Neuville, puis attaque la traversée interminable de la capitale des Gaules. Comme en plus d’être penché, j’ai aussi un mal de genou diffus mais tenace, je pointerai dans une pharmacie lyonnaise en achetant de l’Ibuprofène dont un seul comprimé calmera la douleur. Je commence à admettre que j’ai perdu trop de temps et que, moi non plus, je ne passerai pas la barre trop haute des 793 kilomètres ; il va falloir trouver une solution de remplacement.
Ça tombe bien, j’ai un plan B. Au kilomètre 710 je toucherai Viviers où demeure mon ami Richard Léon. Je sais que Richard est absent, parti crapahuter au Népal et au royaume de Mustang, mais il a très gentiment prévenu sa compagne Marie Anne que des cyclistes pourraient passer. J’appelle Marie Anne qui m’offre l’hospitalité pour la nuit prochaine. Formidable, surtout que, vue ma vitesse plutôt réduite, la 40ième heure devrait juste sonner quand j’entrerai dans Viviers, si tout va bien…
Et encore une fois le cyclo solitaire repart. Des fantaisies de GPS me font perdre du temps vers Vernaison avant Givors. Ensuite ce sera facile ; il suffira de suivre l’ancienne N86. J’ai des nouvelles par SMS de Victor et Élisabeth ; ils poursuivront un plan B’ en arrêtant à Tournon au km 635, d’où un TER les emmènera à Avignon. J’appelle aussi Max qui m’encourage, faisant passer sa déception au second plan. Merci Max, c’est à ces détails qu’on reconnaît les vrais amis.
Je m’arrêterai peu tant l’objectif de Viviers risque de devenir lui-même problématique. C’est que la N86 est loin d’être plate. Quand le vélo est nu et qu’on tient la grande forme, les bosses courtes s’enlèvent d’un coup de rein, mais là c’est autre chose et je butte sur chacune. En plus ma cassette TA Khéops fatiguée craque sur beaucoup de pignons, sauf les plus grands. Mauvais prétexte pour mettre trop petit. Mauvaises jambes aussi !
Pour agrémenter ce final compliqué les orages qui grondaient sur l’Ardèche se rapprochent. Le temps d’enfiler ma veste Castelli et de trouver ses manches que le vent fait voler, je suis mouillé. Pendant une petite heure que dureront ces orages avec un peu de grêle, j’aurai tout le loisir d’apprécier cet excellent produit, respirant et imperméable. Un bon achat, fait pourtant en dernière minute avant de partir, quand la météo ne laissait plus place au doute.
À 19h30 j’entre enfin dans Viviers, pointe ma carte d’arrivée dans un premier commerce dont le tampon « Art des choix », s’il est humoristique, ne porte pas d’autre mention. Raté donc, et c’est une pizzeria qui me donnera le tampon Viviers. Le vieux village est un peu labyrinthique et je peine à trouver la maison de Richard. Enfin m’y voici, point final de ces quarante heures.
Marie Anne me porte même mon sac de guidon, tant j’ai de mal à gravir les derniers escaliers que je monterai à quatre pattes. Une douche parfaite, un repas de cycliste avec minestrone et pâtes, la compagnie sympathique de ses deux enfants, que demander de mieux ? À 21h00, épuisé, je m’endormirai dans la belle chambre qui m’est offerte.
Il reste une centaine de bornes pour rejoindre Barbentane et debout à 5h00 je déjeunerai en compagnie de mon hôtesse qui a eu la gentillesse de se lever aussi à cette heure matinale. Et peu avant 6h00 dans la nuit finissante, je relancerai la machine. Hélas après un début prometteur, je reprendrai vite une position encore trop penchée. Peu importe, à 10h30 je suis à la concentration où Max m’accueille, les bras grands ouverts.
La suite est une succession de rencontres toutes bien sympathiques d’amis anciens : Christian Poirson, Séverine et Didier, Christian Cariou, Robert Isoard, Dominique et Christian Lamouller, Raymond Henry, Philippe Guillée et bien sûr toute l’équipe ACP. C’est la magie de Pâques en Provence de faire oublier en quelques minutes combien fut longue la route pour y parvenir. Les équipes de fléchards sont là aussi, peu nombreuses puisque seulement 29 seront homologuées. Une équipe de guerriers, celle de l’US Métro avec Thierry Fradin, Jean-Pierre Ropert, Robert Kérautret, Leandro Raggi et Jacques Cressant a couvert 634 km sous une météo épouvantable. Bravo à eux !