C'était mon premier 600.
En vue de participer au PBP 2023, j'ai commencé les BRM cette année.
Voici le compte rendu. Photos par ce lien
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3 h
À l’heure où la plupart, surtout un samedi matin, sont encore dans leur nuit, je me réveille naturellement après 4 h de sommeil et 30 min avant l’alarme programmée. Je continue de me reposer en attendant l’heure fatidique, dans la chambre calme du petit village où habite ma cousine. Car chaque minute supplémentaire de repos constituera un atout indéniable pour ces deux journées à venir.
4 h 30.
Après un court trajet en voiture, je me rends à Gillonnay pour le départ. Nous sommes 27 — que des hommes et je suis le seul à vélo couché — à tenter de réaliser cette boucle de 600 km en moins de 40 heures. Jamais je n’aurais imaginé un jour m’embarquer pour 600 km non-stop à vélo ! Comme jamais je n’aurais imaginé courir la Diagonale des Fous ou le Marathon des sables. Ce sont souvent nos têtes qui dressent les obstacles et nos pensées négatives qui nous poussent à nous sous-estimer. Mais la passion et les rêves mobilisent nos énergies, l’envie de défis nous pousse à accomplir des actions qui effleurent nos limites. En tous cas, dans les heures qui vont suivre, jamais je n’aurai la sensation d’atteindre mes limites…
Le jour commence timidement à poindre alors que nous nous élançons de ce petit village de l’Isère, en traversant 3 km plus loin la ville natale de Berlioz : La Côte-Saint-André. Un grand merci aux membres dévoués du Cyclo Club Gillonnay. Ils étaient au moins une dizaine à 4 h du matin pour nous guider au parking, nous accueillir, servir une collation et nous donner les dernières instructions. Une belle organisation qui rassure et réconforte devant le défi inconnu qui se profile devant nous. Chacun se prépare à sa manière. On va prendre un café, manger un morceau, on s’assied tranquillement, on vérifie que son vélo est bien prêt… Pour ma part, je me pose sur une chaise, vérifie ma pochette et surveille tranquillement l’heure du départ. Puis vient le court briefing du président — qui roule avec nous. Il nous donne les ultimes recommandations et signale la modification du parcours après Mende. Des habitués sont présents, je remarque leurs gilets du fameux « Paris-Brest-Paris ». Mais également des novices comme moi.
Des petits groupes se forment de suite. Je vais pédaler jusqu’au Rhône pendant quelques heures en compagnie d’un gars de la région. Son fils est déjà parti comme une fusée en tête. Une histoire de famille, le vélo.
À Montfaucon en Velay, premier arrêt obligatoire pour un contrôle. Il suffit de demander à un commerçant de tamponner la carte du brevet. Je retrouve deux participants arrêtés à la pharmacie en face. L’un d’eux m’explique que son coéquipier commence à avoir mal aux fesses et cherche une crème réparatrice… Problème inconnu à vélo couché !
Je découvre que c’est aussi le week-end de l’Ardéchoise, la plus importante cyclosportive de montagne au monde. Tous les villages du parcours sont affublés des couleurs de l’événement : jaune et mauve. Plus de 10 000 cyclistes sont attendus cette année.
Nous attaquons la région du plateau Vivarais-Lignon. À peine le Chambon sur Lignon dépassé, je ressens la première alerte d’engourdissement de mes orteils. Je suis obligé de m’arrêter pour une courte séance d’étirements. Depuis des années, au bout de quelques heures, j’ai les orteils du pied gauche qui deviennent insensibles et douloureux. Le phénomène va se répéter à plusieurs reprises dans la journée et dans la nuit, m’obligeant à m’arrêter et ralentissant ma progression. Je n’ai pas encore trouvé de solution à cette pathologie, malgré des séances chez le kiné.
Ce plateau est une région assez particulière, résonnant d’une tradition d’accueil de réfugiés en difficulté. Durant la période sombre de la dernière guerre, les habitants ont recueilli et caché près de 5000 juifs, en particulier à l’initiative de pasteur Trocmé.
Vers 18 h, une vache sur le bord de la route m’attire irrésistiblement. C’est l’enseigne de la laiterie en bordure de la N88 après Langogne. L’envie de manger des yaourts est plus forte, et je m’en enfile deux sans broncher. Caramel, fleur de sel. Ça fait du bien par où ça passe.
J’arrive devant le point culminant de ce parcours : le col de la Pierre Plantée à 1264 m, sur la commune de Laubert. Malgré l’altitude et le vent, le thermomètre monte allègrement vers les 37°.
Ce qui ne les empêchent pas d’être présentes tout autour de moi. Elles m’accompagnent même à 20 kmh/h sur des longues distances. Des dizaines. Malgré leur petite taille, elles ont de la vitalité. Heureusement une descente va leur faire lâcher prise. Sauf une. Elle doit être la plus sportive de l’équipe, cette mouche.
Le vent devient de plus en plus sérieux. Il alterne de face et de côté suivant les moments ou plutôt en fonction de la direction de la route. Un adversaire invisible, inégal et imprévisible, qui va entamer le corps et le moral. Heureusement le lendemain il aura pitié de nous et avec remords il se rachètera, en soufflant du sud et en nous poussant. Quelle aubaine ! D’ailleurs sur les hauteurs avant Sauveterre, pendant la nuit, une rafale a failli m’entraîner dans une chute ; je vais être projeté violemment sur le bas-côté, contraint à mettre pied à terre in extremis.
Je m’astreins à boire régulièrement et souvent, car c’est mon défaut : j’ai rarement soif. J’ai installé une poche à eau derrière mon siège, mais le tuyau me joue des tours, il se décroche tout seul. Finalement, dans la descente juste avant Mende, il va se retrouver dans les rayons et le bouchon se brise. Plus moyen de maintenir l’eau à l’intérieur. Une autre solution sera à envisager pour la prochaine sortie. Heureusement que j’avais une autre gourde.
À Balsièges, au bas de la montée vers Sauveterre, je me trompe de route. Heureusement, je m’en aperçois au bout de 3 km. La nuit est maintenant tombée. Arrivé sur la hauteur au point de bascule, je m’arrête pour manger vers 23 h 30. Un petit couscous bio aux légumes m’attend dans ma sacoche. Je l’avais mis à réhydrater (c’est du lyophilisé VOYAGER) depuis quelques heures. Une bonne source d’énergie. Il sera suivi d’une délicieuse mousse au chocolat (lyophilisée également). De quoi être revitalisé pour la suite.
L’obscurité est bien présente. Tout est plus calme, plus serein. C’est une autre ambiance, une autre vie. C’est beau, rouler la nuit. On ne dérange personne et personne ne nous dérange. Les voitures ne sont plus là pour nous défier. Quelques chats en vadrouille, surpris d’être troublés dans leur chasse nocturne, sautent sur le bas-côté. Des renards écrasés ont eu moins de chance. Je découvre sous les illuminations nocturnes un village mignonnet dont je n’avais jamais entendu parler : Sainte Enimie, nom d’une princesse mérovingienne, et une vraie sainte selon la tradition. Je n’ai pas le temps d’apprécier ce bourg médiéval de 500 habitants. Juste l’opportunité de refaire le plein (d’eau). J’enfile maintenant les courbes et les lacets le long du Tarn, que j’entends couler et gémir en contrebas de l’autre côté du parapet qui longe la route en permanence. Pas même de lune pour admirer ces gorges et percer les ténèbres. J’engrène les panneaux : site remarquable, site historique, point de vue, etc.. Je suis frustré. Très frustré. C’est certainement le plus beau passage de ce BRM, et je suis obligé de pédaler de nuit. La découverte de la région, ce sera à une autre occasion.
335e km. Je traverse le Pont de Monvert endormi. Ce passage me rappelle mon aventure à pied en 2018 : le parcours de 400 km sur le sentier des huguenots en Cévennes. Il traverse plusieurs villes que je vais retrouver comme le Pont de Monvert, Villeneuve de Berg, Les Vans, Vallon Pont d’Arc, etc. Des souvenirs fabuleux, vécus également sous la canicule de juillet. Heureusement, j’aime bien la chaleur.
5 h 30. La lumière du jour commence à poindre au milieu de ces monts des Cévennes. Et tout d’un coup je ressens l’appel de l’oreiller. Le vélo commence à zigzaguer. Je me décide alors à m’arrêter, pour ne pas refaire l’erreur de ma dernière longue rando. Je me pose derrière un muret à l’entrée d’une impasse au centre de Genolhac, par terre sur des graviers et quelques feuilles mortes, le vélo restant appuyé contre des poubelles. Nul besoin de berceuse. Au bout de quelques secondes, je suis déjà ailleurs. Vingt minutes plus tard, l’alarme de mon téléphone retentit : c’est l’appel de la route. Quelques instants pour se remettre dans le contexte, et puis c’est reparti. Cette départementale me conduit aux Vans, au terme d’une longue descente dans la relative fraîcheur du matin. Un petit thé accompagné de mon gâteau énergétique confectionné « maison » me fera du bien, avant de poursuivre vers Vallon Pont d’Arc.
Juste avant de partir, je retrouve Pierre, que j’avais déjà croisé avec son collègue.
« Tu es tout seul ?
— Oui, mon ami m’a abandonné vers Langogne à 200 km
— Que s’est-il passé ?
— Il n’était pas bien, il vomissait. Il a préféré abandonner. Il s’est peut-être trop hydraté.
— Dommage »
Nous repartons ensemble, et nous allons pédaler quasiment toute la journée à deux jusqu’à Chabeuil. Je découvre une petite vallée qui donne accès à la vallée du Rhône directement par Le Teil : la vallée de l’Ibie. Une vraie découverte, qui évite de grimper. Mon poignet commence à me rappeler à l’ordre, réminiscence légèrement douloureuse de mon accident de fin décembre. Il n’apprécie pas d’être dans la même position depuis de longues heures…
Me voilà arrivé au bord du grand fleuve qui descend vers la Méditerranée, au 480e km, où je récupère la départementale côté Ardèche avec le vent dans le dos : quel changement !
Je suis en territoire connu. La carte ne sera pas indispensable. J’en profite même pour faire une pause chez moi, car le parcours passe à 200 m de la maison. Il ne reste qu’environ 4 h !
Après une route très vallonnée, et une énergie fluctuante, j’atteins enfin l’objectif dans les délais prévus (moins de 40 h). Sur cette portion, la température est montée à 40°. À l’arrivée c’est la satisfaction d’être parvenu au bout de ce périple, la joie d’un nouveau défi accompli, sans problème particulier.
Pour ceux qui aiment les chiffres :
616 km au compteur/38h15 : (avec les arrêts)/vitesse maxi : 72,76/D+ 7000 m/3 kg perdus/15 000 calories dépensées